17 juillet 2010

Le temps vous instruira. Et s’il vous fait défaut, c’est à cela que sert l’imagination.

Je fonctionne de la même manière que mon neveu.
Une boule d’énergie.
Un bouquet d’envies variées.
Des cris, des éclats de rire, des chantonnements.
Je taquine et provoque.
Je cherche et je trouve, des gestes affectueux.
Je suis fatiguée : je deviens irritable, susceptible, désagréable.
Puis, je pleure.
Je suis contrariée : je fais d’abord la moue. Puis, je pleure.
Un peu de silence, dans mon coin.
Ensuite, je déborde d’énergie. De nouveau.

Il a 4 ans. Je suis à l’aube de mes 22.

Quel plaisir particulier je trouve dans ce travail. Je retrouve, devrais-je dire.
Les joies de la restauration.
L’adrénaline. Le stress. Le chiffre d’affaire. Le patron pas « mauvais » en soi mais qui, bien entendu, ne vit que pour ses intérêts. Les clients. Le rush. La manière de s’adresser aux collègues. Les « allô » quand on est dans le jus. Car c’est comme cela qu’on parle en service. Dans le jus, ça veut dire dans la bousculade, dans l’empressement, entre un client qui attend, un autre qui vient réclamer, un autre qui vient demander. Tout en même temps. Allô ?

Ce plaisir de faire trente six mille gestes en même temps. Ouvrir le robinet, passer le verre, attraper la bouteille, remplir le verre, fermer le robinet, se pencher pour attraper le citron, changer le papier pour la carte bleue, tiper les produits, essuyer le verre, répondre aux collègues qui cherche sa commande, dire le prix, encaisser, fermer la caisse, donner le reçu. Bonjour/au revoir. Bon appétit, bon voyage.
Et avec cela ?

Des clients à n’en plus finir. Des clients à satisfaire. Moi au bout du service. « Vous êtes le produit fini » m’a dit l’arriviste. Je dois être présentable, bien coiffée, me tenir droite, ne pas jurer, sourire, surtout. Sourire.

Ne pas voir l’heure passer. Etre bousculée, tout le temps. Tout faire, dans les temps.
Répondre à des objectifs de vente, qui dépendent de ma qualité de commerçante, pour mon patron. Qui dépendent du client et de son portefeuille, pour moi.

Travailler sans relâche, avoir un poste à responsabilité. Tenir une caisse à 500 euros. Faire les comptes. Servir au bar, du café, du café, du café. Classique ou 100% arabica ? L’arabica est le café dît d’origine, l’un est corsé, l’autre plus doux, se sert même en serré, paraît-il.
Qu’importe, je n’aimerai jamais cela.


Etre derrière un bar, avoir tout à portée de main, se trouver face aux clients qui s’assoient et vous observent travailler. Tandis que mes yeux se concentrent sur les liquides qui coulent dans les verres. Joli mélange, ce cocktail. Ca me rappelle des souvenirs, mais ils n’en sauront rien.

Puis, savoir se taire. Ne pas râler. Accepter de passer d’un poste de représentant à un laveur de chiottes. C’est ainsi. Gratter, nettoyer, décorer. Varier.
Faire croire au client que tout cela est totalement sous contrôle.

Le plaisir, de travailler en équipe. D’avoir un poste unique, mais de partager les emmerdes en commun. De l’entre aide, tout le temps. J’ai toujours connu ça en restauration. Quoi qu’il arrive, qui que ce soit, les collègues s’aident entre eux. Que ce soit le calme plat ou la panique totale, chacun va répondre aux questions, se déplacer, quitter son poste, courir, crier, donner main forte à celui qui le demande. Observer le travail des uns et anticiper les besoins des autres. Pouvoir participer, répondre. Etre formée en deux temps trois mouvements, car la majorité du savoir s’acquiert dans l’expérience de la pratique, puis, former à son tour.

Se sentir utile, efficace, rapide. Surtout, rapide.

Remarquer que les gestes deviennent mécaniques. Qu’ils s’enchaînent. Comme l’exercice de lecture, le cerveau a bien enregistré la procédure, tout se fait tout seul, les mains s’agitent systématiquement au contact d’une tâche à effectuer.

Tiper les produits à l’écran tactile. Quelle joie. Ils étaient tous épatés. Ne soyez pas crédules, j’ai déjà fait de la restauration, normal que je connaisse un ordinateur. Oui, mais tu enregistres vite. Normal, c’est trop fun de taper sur l’écran avec son index et de faire défiler les produits, de les trouver en deux fractions de secondes, de les ajouter/modifier/supprimer. Il me manquerait ne serait-ce qu’une seule case en moins et parfois je pourrais avoir l’impression de jouer à un jeu. A défaut de jouir comme nombreux autistes périodiques des applications pour I-phone débordantes d’inutilités, hors de ma portée.

Le temps passe à une vitesse folle. Pas le temps de penser. Impossible que les éléments extérieurs viennent trébucher sur le travail, tant il est difficile de laisser son esprit divaguer. Lorsque la fatigue pointe le bout de son nez, lors des fins de service, que la nuque reçoit comme des pointes par à-coup et qu’arrive à ce moment LE client râleur, celui qui vous remet tout sur la gueule et qui finit par « si vous n’êtes pas contente aller voir le responsable », ce genre de moment qui fait monter ma température en l’espace d’une fraction de seconde et qui me met à l’épreuve, je les défis .
Puisque je ne dois surtout pas agresser quelqu’un, l’insulter où m’arracher mes propres cheveux, je prends sur moi. Prendre sur moi .. un exercice à renouveler sans modération durant toute ma vie, je crois (et, quel bien !).

De toutes manières, être barmaid, c’est la classe.
Et barmaid en jupe, c’est encore plus la classe.

N’empêche qu’il est amusant de constater que les rares moments où j’ai des coups de mou, où je sens que je commence à devenir tristounette et à trouver tout relativement pénible, me vint alors la pensée de mon périple à venir, qui approche à grand pas. Quand cette pensée me traverse l’esprit, comme si je l’avais « oubliée » ou qu’elle n’avait plus sa place dans ma tête au moment de, je ressens quelque chose d’étrange dans mon corps. Je ne saurais dire si c’est dans mon ventre, ma tête, ou bien partout, mais arrive une sorte de vague salvatrice, qui s’étend partout, un sentiment léger comme lorsqu’on est amoureux et que dans une vague de décrochage le simple fait de « penser » à la personne qui nous touche nous redonne comme un petit coup de carburant dans le moteur rouillé.
Je ressens véritablement cela, sauf que je suis amoureuse d’un pays, qui plus est inconnu.

Comme toute tâche non directement désirée, il faut voir plus loin que le bout de son nez, et de celui du calendrier. Se projeter, toujours, quoi qu’il arrive. Avoir des envies, même si celles-ci se transforment.
Savourer le moment présent, toujours, et se laisser porter par ce qui nous pousse en avant.

J’aime cela, je crois.
La pression, les menaces patronales, les clients antipathiques qui me font ravaler ma salive, qui me rendent davantage placide, et qui me poussent à les regarder dans les yeux en leur dévoilant mon plus grand sourire. Ecouter des familles qui passent à la caisse, en silence, et deviner un soupçon de leur potion éducative, certaines remarques qui font sourire, d’autres, qui crispent.
Mais les enfants, quels que soient les parents, restent de fins observateurs discrets. Regardant de leurs gros yeux l’écran que je manipule ainsi que les verres que je remplis, j’aime les surprendre, en leur tirant la langue lorsque nos regards se croisent, toujours lors des dernières secondes de l’entrevue, les laissant interrogateurs avec un sourire timide au coin des lèvres.
J’aime, le bruit des verres qui se cognent entre eux lorsqu’on les range, après avoir passé un coup de chiffon dans chacun d’eux, eux qui sortent brulants de la plonge, qu’il faut manier avec précaution, tout en faisant vite.
J’aime, compter la monnaie, avoir le pouvoir de décider de si je rendrais des pièces ou un billet, la compléter à ma guise, puis, surtout, la rendre dans les mains du client.
Le seul contact physique qui soit inévitable.
Les anglais et allemands qui rentrent et sortent, qui me donnent l’impression de maîtriser de mieux en mieux la langue, sauf que je ne connais absolument rien au vocabulaire de la restauration. Mais je m'amuse, et ils me laissent des pourboires.
Les mamies qui s’excusent sans arrêt d’être lentes, et moi qui les encourage à prendre leur temps.
Les quelques charmeurs qui viennent toutes les trois secondes demander où se trouve le sel, puis le ketchup, puis les couverts, alors que les trois résident sur le même plateau.
Tout en s’excusant d’être perturbants.
Perturbants, qu’ils disent ..