18 juillet 2010

Je ne voudrais que des bobos popotes.



Il faut que je vous parle d’Etan.
Tout d’abord parce qu'il porte un prénom merveilleux.
Classé dans la catégorie des noms doux qui se prononcent fabuleusement entre mes lèvres.
Etan est un garçon, âgé de 26 ans.

Lorsqu’on demande à Etan ce qu’il fait dans la vie, il répond qu’il est admirateur du néant.
En fait, il étudie la philosophie en même temps qu’il persévère dans des études de droit.
Allons bon.
Etan est aussi un classieux serveur, qui sait porter des plateaux de 10 kilos tout en dansant la polka.
Atrocement souriant avec la clientèle, il se retrouve chaque jour avec des pourboires monstrueux.
Pourtant, Etan passe son temps à dire qu’il en a marre, et qu’il partira.

J’ai rencontré Etan un soir de débauche où je traversais la ville avec Gwadale pour trouver quelque chose à me mettre sous la dent. Quelque chose de vivifiant qu’on avait envie de savourer ensemble, car Gwadale et moi, c’est une vieille histoire, et entre Gwadale la poudre et moi, c’est une aussi vieille histoire. Passant du statut de nones moralisatrices à celui de fêtardes abusives, cela faisait des mois entiers que nous n’avions pas salué ensemble ce que nous avions tant aimé découvrir à deux.

Ce soir là, j’étais en repos pour encore 24H, et Gwadale m’avait presque ordonnée de dormir chez elle, dans son 20m carrés bordélique, devrais-je dire son four. N’ayant pas besoin de me faire prier, je n’ai plus de toit dans cette vieille cité bordelaise et y vais désormais en touriste, avec mon sac et ma guitare comme dirait Francis, dans la certitude de trouver une porte qui s’ouvrira sûrement.

Comme cela fait parti du deal, les produits illicites sont toujours générateurs de faux plans/faux espoirs et soirées improvisées. Encore une chose que j’avais oublié avec Gauffre, tant Gauffre avait de contacts et surtout, le flaire pour dénicher les meilleurs trucs au bon moment. Mais ce soir-là, c’est lui qui nous a plantées à la dernière minute, après une journée de dur labeur qui l’a empêché une fois débauché d’aller trouver ses complices coursiers.
Tant pis, nous irons prendre l’air. Cela fait déjà trois heures que nous cuisons à une terrasse sans arrêter de parler, nous pouvons bien poursuivre nos conversations ailleurs.

Voilà qu’on arrive devant ce vieux cinéma bordelais tant réputé.
Pourquoi pas ici, après tout ? Cet endroit est rempli de bourgeois et de jeunes pimbêches en décolleté buvant des mojitos, et la bière est la moins chère du coin. On pourrait tenter de se fondre dans le décor, puis, j’ai envie de lire le programme, au cas où j’aurais l’idée d’inviter quelqu’un partager un film ou deux.

Tiens. Voilà qu’à peine assise, une jeune fille me bouscule, sans faire exprès.
Elle allait visiblement retrouver son père et était sur le point de lui sauter dessus.
Ce visage me dit quelque chose.
Ha, quelle étrangeté. C’est l’ex de. , dis-je à Gwadale. Elle travaille à côté en fait, c’est logique.
Je m’épate de savoir la reconnaître alors que je ne l’ai jamais vue auparavant.
La magie d’internet et ma mémoire sélective qui ne ferme pas les yeux sur certaines photos.
Elle a un air bien particulier. Un visage de maligne, je trouve. Quelque chose de lumineux dans son sourire. Elle a l’air tellement heureuse de voir son père. J’aime bien comme elle est habillée. Un sarouel et une chemise légère. Je l’envie, je crève de chaud sous mon petit pull.
Du coup, nos regards se croisent pendant un certain moment, et je finis par détourner le mien. Je n’aime pas cela, je sais qui elle est mais elle ignore qui je suis. Restons-en à ce qu’elle voit, une parfaite inconnue.
Gwadale me regarde, on sourit.

L’entrevue ironique nous mène à parler chiffons et serviettes, à vitesse grand V, sans limites et retenues. Gwadale est en pleine crise sentimentale, elle flippe car elle ne sait pas dire si elle aime ou non son mec. Je lui dis qu’elle se pose les mauvaises questions, et surtout, que ce sont de mauvaises raisons qui lui font se les poser. En fait, ma réponse ne fait pas l’unanimité. J’imagine coloc m’entendre dire cela, et je sais que pour elle et sa manière de fonctionner, il est évident que savoir poser des mots sur des sentiments est quelque chose de primordial, encore plus lorsqu’on partage sa vie avec l’autre depuis presque deux années. Le contraire serait le début d’une trahison car malhonnêteté car perdition.

Moi, je fais des tours de bras dans le vent.

Je ne sais pas ce que je ressens, je sais seulement que je ressens. C’est ma pile, mon repère. La seule distinction que j’arrive à faire, c’est reconnaître si je suis sur la voie de.
Car. Soit. Papillons, sourire niais, report constant à l’autre. Sourire niais. Excitation. Bousculade. Ressemblances, déchirures, boites à questions, créations de projections idéalisées et échanges de confidences enterrées. Soit. Je me sens juste bien et « apprécie » passer du temps avec l’autre. Sans aucun soucis d’avenir, d’anticipation même des problèmes, d’égo heurté, de sensations bafouées, de déceptions. Foutue vie peinarde qui ne me correspond visiblement pas, et, tant pis, pour l’autre, tant mieux, pour moi. Je ne suis pas là pour gâcher mon temps à me sentir seulement bordée et « tranquille », cousin.

Que leur Dieu m’en garde.
On s’en fout, Gwadale, ce n’est pas parce qu’il te manque que tu l’aimes, ce n’est pas parce que tu es séduite par le nouveau que tu ne l’aimes pas, ce n’est pas parce tu es nostalgique que tu ne l’aimes plus, ni parce que tu ne lui as pas dis depuis des mois. On s’en fout. That’s not the problem in fact.

Je m’aperçois que le serveur qui m’effleure sourit en même temps qu’il nettoie la table à côté de la notre.
« Y’a de l’euphorisant dans ta lingette puante ? lui demandais-je.
Etan se tourne vers nous et son sourire s’accroît.
« Pas dans ma lingette » dit-il.
Gwadale et moi échangeons un regard.
« T’écoute tout ce qu’on dit depuis tout à l’heure ? » elle lui demande.
« J’ai pas le temps d’écouter toutes vos questions existentielles. J’ai juste entendu quand ta pote parlait des besoins de séductions et de son profond moi »
« C’est tout ?!! criais-je. En fait t’as entendu le plus personnel quoi. »
Il pose son plateau. On sourit toutes les deux et on le regarde avec de gros yeux.

« Heureux de faire ta connaissance. Un jour il faudra qu’on ait une discussion toi et moi. »

Ouais vas-y, t’es trop drôle mec. Gwadale attrape une cigarette comme si le moment à venir était à savourer en même temps que la nicotine. Je souris toujours mais d’un air moqueur, je ne dis rien et je sens qu’à la vue de ma bouche qui se tort, il ne sait pas comment je le prends. D’ailleurs je ne sais pas moi-même comment je le prends, d’un côté c’est typiquement le genre de phrase de charmeur à la con que je déteste entendre, d’un autre, sa tête m’est sympathique et ses yeux ne donnent pas l’air faussement affriolants, ils le sont, justes.
« Avant de se la jouer compréhensif et solidaire, tu peux me dire si tu as vraiment de l’euphorisant ou si tu souris toujours aussi bêtement sans raison ? »
« Combien ? »
« Un »

Il part téléphoner.
Je l’observe, et, de profil, me rends compte qu’il me fait penser à Gaël.
Personne ne me fait penser à Gaël. Gaël est mort et personne ne doit lui ressembler.
Mais quoi que je dise, il a quelque chose de lui.
Je laisse mon cœur se tordre deux secondes.
Il revient.
« Dans une demi heure » Nous dit-il.

Là, c’est juste trop le fun. On est là à picoler depuis des heures, retournant les contacts téléphoniques (de vrais lâcheurs, ceux-là, rentrant dans le cadre de la lose pour la recherche stupéfiante), se moquant de nous-mêmes et de notre soirée étoilée qui devenait soirée arrosée, et là, un mec sorti de nulle part, un putain de mec qui sert des bières dégueulasses avec un t-shirt portant une énorme tête de squelette, vient à surprendre notre conversation et nous trouver ce que nous voulions.

Inutile de préciser que la trouvaille était remarquablement bonne, et que, pour le remercier, on a amené Etan avec nous à l’arrière boutique. Etant de service pour encore deux bonnes heures, il nous proposa de le retrouver à la fin de son service, afin de passer le reste de la nuit sur les quais bordelais avec des potes à lui musiciens. Ha, les potes musiciens, toujours là pour égayer des soirées, dans la vie !

En attendant qu’il termine, Gwadale et moi décidons de quitter les bobos pour aller se changer, faire le plein, et visiter de nouveaux bars.

En retrouvant Etan, mon cœur bat la chamade et il s’accélère à la vue d’un message sur mon portable. Un message qui me parle mais un numéro que je ne connais pas. Je réponds en demandant si c’est une erreur, on me répond « pardon. » Laisse béton, me dis Gwadale. Tu crois que c’est lui mais s’en est peut-être un autre. Je ne crois rien. Lui ne dirait pas pardon. Certainement pas. Lui ne dit absolument rien.
Je coupe cette machine à emmerdes qui ne m’a définitivement servit à rien ce soir, et la range au fond de mon sac.
Etan arrive toujours souriant, et nous propose de boire un dernier verre avant de retrouver les marginaux. Parfait, nous sommes assoiffées, et il n’est pas bon de s’arrêter au 10ème verre.

Il ne nous demande pas comment nous allons, ni ce que nous en pensons, ni si nous sommes des branleuses pour de vrai ou si c’est juste la mode d’un soir. Nous apprécions.

« Ca m’a fait marrer de vous entendre parler toute à l’heure. C’était pas bête, ce que vous disiez. »
« Tu ne me connais pas, je m’en fiche que tu ais entendu quoi que ce soit. »
« Tout va bien alors. Tu es une écorchée ? »
« Oui. Une orpheline. Victorieuse d’âmes chamboulées par leur propre existence et mon amour. Je pensais souffrir, mais je suis juste malade de la chaleur estivale. Le reste, qu’il parte. J’en ai à revendre, paraît-il. »
« Et bien, je n’ai pas d’argent, mais j’apprécie ce don érotique! »
On se sourit.

« On va se la mettre sévère et chercher de quoi fifizer ? »

Quoi ? Qu’est-ce-qu’il raconte ce plouc ? J’espère qu’il parle pas de trouver d’autres drogues, j’ai pas non plus envie de finir épave ce soir. Enfin, pas plus que là.

« Et bin, vous ne connaissez pas la combinaison du tiercé gagnant ? Dans la vie, il y a les bobos, les fifiz et les popotes. Les bobos, c’est la personne avec qui l’on sort. L’officielle quoi. Le petit copain la petite copine. Les fifiz, c’est les personnes qui nous tournent autour, ou celles auprès de qui on tourne, bref, très vite, des éventuels plans culs, ou/et les roues de secours, celles qui font, généralement et même si on se l’admet à peine à soi-même, qu’on quitte le bobo pour pouvoir fifizer tranquillement sans causer de tort. Jusqu’à ce que le fifiz prenne la place du bobo et perde son intérêt de fifiz. Puis, il y a les popotes, qui sont des proches ou des moins proches, bref, des « potentiels », que l’on aime bien et avec qui on partage des chouettes trucs, que l’on n’ imagine pas un jour devenir bobo et encore moins fifiz. Pourtant, il suffit d’une fois pour que le popote devienne fifiz puis bobo. Dans la vie, tout le monde a des bobos, des fifiz et des popotes. Quoi qu’on dise, on fonctionne tous de la même manière. Dès qu’on se met à fifizer, il faut jarcler le bobo. Puis, vint les instants de petits moments volés, d’affection et de légèreté. Mais le fifiz n’est pas quelqu’un de fiable car il ne nous permet pas d’être pleinement heureux car quoi qu’on dise, le fifiz ne remplace pas le bobo. Alors, on passe à la boboïsation et tout repart à zéro. »

J’écoute ce qu’il dit et souris. C’est tellement facile de rentrer des gens dans des cases ?

J’ai l’air cruche à dire que je n’ai pas de fifiz.
Je n’aime pas les roues de secours, c’est soit tout soit rien, c’est ainsi.
Je n’aime pas qu’on me court après, si je ne regarde pas bien c’est que je n’y trouve pas grand intérêt à m’y pencher, ou bien juste périodiquement, et ça, ça sent mauvais. Je n’aime pas faire croire en des choses que je ne veux pas donner, jouer un faux air me fatigue rapidement, ni, fricoter avec des éventuels, tandis que je partage des choses avec quelqu’un, ou pas.
Puis, je n’ai pas besoin d’une roue de secours pour me détacher du bobo, puisque je n’en ai pas.
N’aimant pas en être une moi-même, il ne risque pas de pointer le bout de son nez, ou bien il parviendra à déguiser ceci en cela et le tout sera alors le bon.
Le potentiel exceptionnel est parti en courant clamant qu’il refusait d’en être un.
Visiblement, il a manqué de tout saisir.

Je regarde droit devant tandis qu’on quitte le bar pour attaquer une longue marche.
Je commence à être sérieusement ivre et je vois Gwadale qui renifle et jure en même temps.
Etan est entre nous deux et nous marchons du même pas décidé vers les quais.
Chacun tient le bras de l’autre et voilà qu’il se met à siffler J’men fous pas mal, de Piaf.
Ca tombe bien. Gwadale comme moi connaissons et partageons les plus grands malheurs d’Edith.

Enchantée, Etan.