30 janvier 2010

Rue Kléber

Je sens son regard sur le mien alors que j’observe son appartement dans les moindres détails.

Au-dessus de son lit est affichée une gigantesque carte du monde, sur laquelle il a ajouté plusieurs données : courants maritimes, monnaies, une citation pour chaque pays, et des photos miniatures d’hommes et de femmes. Il me dit que ce sont des repères, il a rencontré tellement de personnes différentes au cours de ses voyages, que pour les reclasser dans le temps, il a choisi de les coller sur les pays correspondants à l’endroit de leurs rencontres. Je lui demande s’il lui est arrivé d’en recroiser une fois rendu dans d’autres pays. Il me répond que oui, que le plus amusant, c’est qu’en créant des liens avec certaines personnes, il est souvent mené à rencontrer les amis de ses amis, les connaissances se multiplient, donc, et les chances de connaître des gens une fois rendu à un endroit s’agrandissent de voyage en voyage. Tous ces visages représentent une même famille pour lui.
Celle de l’aventure et des découvertes. Il me demande si j’aime voyager. « Je ne sais pas » dis-je, je n’ai jamais vraiment voyagé. Bientôt, peut-être.
Il sourit.
De l’autre côté du mur se trouve un poster des Simpsons représentant tous les personnages de la série. Il s’est amusé à dessiner des bulles de discussions à partir du rôle de chacun et de leur expression de visage sur le dessin. Je prends tout mon temps pour décrypter son écriture. Les dialogues sont subtils, certains décalés, le ton est comique.
Je l’imagine fouillant dans son esprit et écrivant ces dialogues au feutre fin, en tirant la langue, pour mieux s’appliquer.
Ce qui me fait sourire, en silence.

Il me demande si j’ai faim, mais je n’ai pas faim. Il m’indique que ce n’est pas parce qu’il est non fumeur que je dois me priver, pourtant, je ne sais pas si c’est cette pièce, remplie de bougies et de vêtements propres, ou si c’est tout simplement moi, mais je n’ai aucune envie de fumer, depuis déjà plusieurs heures que je suis à ses cotés.
Il s’étale sur le lit en sautant dessus comme un gosse et allume sa chaine hifi au même moment. Un air plutôt pop-rock remplit toute la pièce. D’abord très fort, le temps qu’il se défoule en tapant le rythme sur son oreiller, puis il baisse la musique et me demande si je vais bien. Pour la troisième fois, oui. Je vais bien.
Et même si je n’allais pas, tu serais le dernier à en être informé.

Je veux que tu te tiennes à ce que tu as en face de toi à cet instant précis, soit une jeune fille, plutôt jolie -enfin, je ne fais que reprendre ton mot - qui était en fait, « belle. » Une belle fille, donc, qui ne pose pas de questions trop indiscrètes, qui ne te contredit pas, ou très peu, qui t’écoute et t’observe, en silence. Une jeune fille qui ne te contrarie pas avec des questions mirobolantes, et même si tu peux, parfois, sentir qu’elle te regarde avec de gros yeux ronds elle ne te posera jamais de problèmes concernant le désir pressant et soucieux de discuter d’un éventuel avenir relationnel avec toi.
Une fille qui se fout même de savoir ce qui t’intéresse en elle.

« Désolée » comme on dit. Même si je ne le suis pas du tout. Je ne vais pas être désolée de t’épargner un calvaire. Et moi avec.

En aucun cas, je veux te raconter mes malheurs, mes mauvais rêves, mes doutes, tout le bordel qu’il y a dans ma tête. Je ne voudrais surtout pas que tu interprètes mes dits pour en suite te bâtir une image de moi complètement faussée par je ne sais quelle a priori qui fait que, lorsqu’une est personne est attirée par une autre, tout ce qu’elle voit en elle lui semble être quelque chose de familier, attirant, donc interrogateur, donc séduisant.
Je ne voudrais pas que tu finisses par te perdre dans un reflet. Moi avec.
Les gens amoureux ont tendance à acquérir une certaine force merveilleuse qui les mène à se frayer un nouveau chemin qu’ils bâtissent en pensant être des élus de Cupidon.
Dangereux pour la santé.

On se ressemble, il est possible, mais il ne sera jamais légitime qu’un autre que moi accepte mon côté paranoïaque, ma tendance (un peu) hystéro parfois à gérer des conflits, créés souvent par l’hystérique en question, mon ton parfois (un peu) trop agressif, mes allures de garce grande ambassadrice et envahissante d’esprits molletonnés, mon humeur capricieuse (même si elle est putainement malléable, faut juste la saisir, mais même ça, je parierai pas dessus), mon addiction pour la procrastination et toutes les emmerdes que ça peut engendrer, mon côté rebelle (en plus de la génération « girl power ») contre toute forme d’appartenance à un milieu, mon refus catégorique d’accepter la conception même d’une hiérarchie (problématique, trouvez-vous ? ), mon amour démesuré lorsque j’. bref, je ne veux pas laisser une seule once de ma personne dans cette pièce. Je ne veux rien te donner qui puisse te guider sur ces pistes. Car après tout, si je me dessine autrement avec toi, peut-être est-ce parce que je suis aussi une autre, parfois ?
Tu kiffes, là, le côté schizo ? Ca va, j’arrête.


Je suis seule avec mes fantômes, face à ça tu n’es rien. Le néant. Et ne peux rien pour moi.
Ni toi, ni tes yeux qui pourraient me faire fondre, tant ils sont sombres et ton regard est profond. Ni ce visage couleur caramel, que je trouve parfait à mon gout, ou tes allures de bad boy converties ce soir en maître de cérémonie.
Non, ce n’est pas une histoire de se faire du mal. En fait, je ne pense même pas à l’idée que tu puisses me blesser, qui pourrait prendre l’air d’un contre argument à l’aube d’une nouvelle histoire (facile, mais tellement vrai… )
Je n’ai pas de place pour toi dans ma tête. Il y a déjà assez de visages. De noms. De pensées.
Plus envie de convaincre ni d’être convaincue.
Je n’ai surtout besoin d’aucune preuve sur l’éventuelle tournure que pourrait prendre telle ou telle relation, sous tel ou tel rapport. Gavée des mêmes scénarios.

Oui, je comprends ce que tu dis. Je pourrais dire la même chose.
Je ne peux juste pas aujourd’hui.

Je sais ce que j’ai perdu, et ce que je ne voulais pas perdre.
Et j’avorterai toute situation qui pourrait me rendre ce plongeon.
Si les autres veulent en profiter, qu’ils en profitent.

Tu me demandes combien de temps cela fait.
Comme ça, d’un coup.
Je ne réponds pas. Je baisse mon regard sur mes mains, que je trouve soudainement très intéressantes.
Tu me demandes si ça c’est mal terminé.
Je ne réponds toujours pas.
D’abord, je réfléchi.
Sur quelle échelle de mesure dois-je évaluer les dégâts causés par une rupture ?
Si on se sépare sans se taper dessus, c’est un point de gagné ?
Si on se quitte avant que l’un d’entre nous n’ait entamé une nouvelle relation, c’est + 1 ?
Si on part d’un commun accord, et que du jour au lendemain, on ne s’adresse plus la parole, on ne se regarde plus, - transparence -, c’est plus ou moins ?
Si on se quitte alors qu’on s’aime encore ? C’est juste… tragique ?

Alors, je ne réponds toujours pas.
Mais je lui demande, j’ai l’air d’un martyre ou quoi ? Non non, dit-il doucement, tu as juste l’air d’être ailleurs.
J’y étais.
Je reviens à la réalité en plongeant mes yeux dans les tiens.
J’augmente le son de la chaine.
Dans un mouvement de contestation qui m’informe que les voisins se vengeront très tôt le matin et qu’en suite le battle d’hifi concernera tout le bâtiment, tu me fais signe de me rapprocher.

Ma tête colle le haut de ton bras, mes yeux le plafond. Ta main se balade doucement tout le long de mon crane, descend jusqu’à la nuque et remonte, seul et unique mouvement de la pièce.
En silence.
Tu respectes le mien et tu n’imagines pas comme cela me met à l’aise.
Tu vois, il ne suffit de presque rien.
Ne pas me bousculer trop tôt, voilà tout.