24 juin 2010

Et les Beatles chantaient "And I've been working like a dog. lt's been a hard day's night, Yeah Yeah Yeah... Yeah..."

Ce matin tandis que mon esprit se baladait dans l’écoute attentive de merveilleux albums musicaux conseillés par Blondin, on sonna à ma porte. Une fois.

Je ne veux pas répondre. J’ignore qui c’est, trois options : les témoins de Jéhovah, les poissons suceurs comme j’aime les nommer. Ils m’ont collé toute l’année pensant me convertir au christianisme en m’harcelant toutes les trois semaines. J’ai beau leur dire que je refuse de penser que ma vie est dictée par un Dieu Tout Puissant et que je prends de la cocaïne, ils s’en foutent et reviennent à la charge.
Soit c’était un banquier, nouvel arrivant au Crédit Agricole qui cherche des maisons à vendre, ou bien, tout simplement, quelqu’un qui serait forcément quelqu’un que je n’avais pas envie de voir, puisqu’à cet instant, seul le son des Chemical Brothers et autres merveilles me traverse d'une manière agréable, ainsi que l'effet des regards furtifs de mes félins en ma direction alors qu'ils se prélassent au soleil.

Coloc est au lit et se repose avant une dure journée de répétition de batterie, et je n’ai toujours pas envie d’ouvrir. Ca sonne. Deux fois.
Je cherche mes clés, je ne les vois pas.
Je monte le son.
Trois fois.
Bien décidée à me précipiter dans l'entrée pour rembarrer le connard qui m’emmerde, je monte dans ma chambre, retourne mon lit et trouve mes clés.
J’ouvre la porte. Un son aigue me perce les tympans : voici mes deux voisines portugaises âgées de plus de 70 ans qui s’excitent sur moi gratuitement. L’histoire ? Une machine à laver qui a été déposée devant chez elles, (en fait, à gauche de ma porte, mais j’apprends désormais que ce n’est plus chez moi.) Elles crient toutes les deux (elles sont sœurs, les connes), mais surtout une, qui me dit que je n’ai pas le droit, qu’il y en a assez, que je suis vraiment une mauvaise personne, qu’elle en a marre. Au bout de 2minutes trente j’arrive à placer un mot et leur dit que les services de la Mairie ont été prévenus, que je n’y suis pour rien s’ils ne sont pas venus la chercher. Rien à faire, elles vocifèrent. Elles me disent que je dois la déplacer, je commence à le faire dans un élan de bonté divine, et elles continuent en disant qu’elles vont appeler mon proprio. Du coup, je leur calle un « demmerdez-vous » et je referme ma porte.
Illico presto, j’appelle mon proprio, le prévenant que je risque de causer un meurtre si elles continuent à me faire chier. Lui rigole, comme toujours. C’est un rigolo ce mec, et il a l’habitude des plaintes des vieilles contre les étudiants locataires. Il me souhaite bonne chance, Merci mec. Je tente de réveiller ma coloc pour qu’elle me calme ou qu’elle assiste à la scène sanglante, je ne sais pas encore, mais je sens que la température monte.

Je me rassois, je me roule une clope, je me dis qu’il ne faut pas que je m’énerve. Je suis certainement très vexée de la manière dont ces zombies m’ont attaqué, je commence à réellement maudire cette putain de machine à laver que je voudrais voir être sortie depuis plus de dix mois, me préparant depuis des lustres à ce qu’un jour elle me pose problème d’une manière ou d’une autre. Mais du calme, me dis-je, tu sais très bien que c’est inefficace de s’énerver, en plus tu es toute seule et tu te sentiras encore plus ridicule par la suite. Tu pars dans 7 jours, laisse faire, laisse faire… que t’importe le jugement de deux mégères qui ont déjà un pied dans la tombe ?

Les KD Sessions de Kruder et Dorfmeister se terminent, silence.

J’entends une voix d’homme, lui aussi a une fort accent. Et voilà que ça piaille devant chez moi. Non mais je rêve ! C’est le cirque devant ma porte et à tous les coups elles m’ont foutue la machine à laver pile devant le passage de sortie. Je me lève, après tout, qu’est-ce-que j’attendais pour aller me défouler ?
Bingo, une fois rendue au bas de chez moi, les vieilles étaient toujours là à brailler « c’est inadmissible ! » « non mais non » ! accompagnées du père de mon proprio, lui aussi un vieux débris portugais. Je leur dis calmement que ça ne sert à rien d’en parler pendant trois plombes, que je vais appeler les services de la Mairie pour prendre connaissance de leur venue.
Une des deux, la plus vorace, insiste. Elle crie si fort et d’une voix si rauque que même sans les mots le ton suffit à me crisper. J’ai les mains moites, et mes mâchoires travaillent. J’entends ce qu’elle dit mais ne l’écoute pas, je regarde à gauche à droite et je finis par hurler « mais tu vas arrêter de crier comme une morue oui ! ».

Là, c’est le drame.

Limite si la vieille n’a pas fait un double saut périlleux arrière en déblatérant des injures chinoises avant de me tomber dessus avec sa vieille combinaison de femme de ménage des années 50, toute bleue quadrillée et ses sabots de la vieille Hélène, elle hurle. Je suis mal élevée, bon dieu c’est impossible, je suis tellement mal élevée, comment puis-je la traiter de morue alors qu’elle a le même âge que ma mère ?
Là je repense aux bouffons en crise identitaire de classe de 5ème qui se tapaient dessus dès que l’un d’entre eux parlait de « sa mère ». Ma mère connasse, elle est belle et elle n’a pas encore 60 ans, laisse moi tranquille.
Mais je ne prends pas le temps de lui dire quoi que ce soit, ses paroles glissent sur moi et les deux autres cons regardent la scène. Elle continue, disant qu’elle a ramassé notre linge toute l’année dans son jardin, alors qu’il s’agit en réalité d’une seule fois où mon drap s’est décroché de la corde à linge. Une seule fois et elle en fait tout un tintamarre. Elle dit que « c’est une honte » et sa sœur s’y met aussi, tiens. Elles se ruent sur moi en me pointant du doigt, putain ce qu’elles m’agacent. Pendant trois secondes je me vois en pousser une par terre puis je réalise que ce n’est pas légal et que je risque de mal terminer. Dommage. Ou encore heureux que j’ai eu un élan de lucidité. Je ne me vois pas faire de la taule pour une connasse de mamie frustrée d’être vieille et moche et qui ne sait se manifester que par des plaintes incessantes.

Mes yeux fuient les deux vipères et voilà que j’aperçois que tout le quartier est dehors. Des mères de famille, leurs mains posées sur les épaules de leurs gosses et je les regarde en disant « mais oui mais oui, c’est le grand spectacle ! » Les gens sourient, je n’ai pas le temps de savoir s’ils sont gênés, si c’est de la compassion ou s’ils sont justes stupides. Dans les trois cas je m’en tape j’emmerde le monde entier à l’heure qu’il est donc je fais rebrousse chemin et indique à la vieille que si je l’ai traité de morue c’est parce qu’elle ameute tout le quartier, qu’elle est venue crier devant chez moi en sonnant plusieurs fois alors que je n’avais pas envie d’ouvrir.
Après coups je me demande, dans ce genre de moment où je ne donne raison qu’à moi-même, ce qui me pousse systématiquement à tout de même chercher à donner mon avis aux gens avec qui je suis en conflit. Comme si c’était important pour moi que la dispute ne se termine pas sur un raccrochage au nez ou une porte claquée avant que j’ai pu dire ce qui me pousse à. Comme si le fait de dire à haute voix toutes les raisons (valables, bien entendu) qui m’ont poussée à agir de telle ou telle manière allait me déculpabiliser entièrement une fois la carnage terminé, allait donner une source réparatrice au fil du temps, dans les deux camps. Comme si j’imaginais que la vieille allait se refaire la scène et se rappeler de cette phrase « si je vous ai insulté c’est parce que. » C’est bien entendu sous-estimer la bonne foi des gens, qui n’en font qu’à leur tête et qui se foutent de savoir pourquoi j’ai réagi de la sorte. Après tout, elle aussi pense avoir raison, chacun fait en son âme et conscience et bien sûr, ce n’est pas le fait qu’elle m’ait traité de sale gosse ou de mal élevée dont elle se souviendra, mais mon attitude complètement je-m’en-foutiste (j’adore, dans ce genre de situation, ça énerve tellement que j’en jubile), à lui dire que c’était une morue. Ce genre de confrontation électrique, je la subis plus que je ne la gère, souvent, elle paralyse lorsque j’ai la sensation d’être face à quelqu’un qui me renvoie mes méchancetés comme un jeu de balle sur un mur trop épais qui ne fait écho qu’aux saloperies de phrases incendiaires qui marquent au fer rouge.

Mais ho, faut pas déconner, la vieille, je m’en balance moi, elle peut penser que j’ai tous les torts du monde, je l’emmerde elle et sa vieille peau et ma conscience ira très bien même avec cela.

Elle clôture la discussion en disant qu’elle va appeler la police et conseille au père de mon proprio de « lui dire qu’il en trouve d’autres des locataires. » Je rentre chez moi, je gueule le prénom de ma coloc qui sort en robe de chambre en soie blanche. Le fait de la voir dans cette tenue avec ses cheveux lâchés (je la trouve si belle ainsi) me coupe net dans mon élan d’énervement, comme si en la voyant, la tête encore endormie, me demandant avec ses gros yeux noirs ce qui se passe, et en étant persuadée qu’elle rigolera du récit, je redescends de mon nuage gris, et souris.

Le proprio me rappelle peu de temps après et me dit « si les flics arrivent, je suis de votre côté. »
Je crois que tout cela est tellement ridicule que j’en ris, la boule au ventre disparait laissant place à une gestuelle complètement timbrée « puis là puis là puis là ». Il me dit « mais vous savez, les vieux ils sont cons, faut pas toujours chercher à savoir ce qu’ils ont dans la tête. Vous savez, on se demande plus pourquoi la planète tourne si mal. »

Je me demande encore ce qu’il a voulu dire par là.
Une grosse connerie, très certainement.

16 juin 2010

Mes nuits sont plus belles que vos jours

Je suis au volant de ma voiture, j’avance. Je suis censée rentrer chez moi. Mais le ciel orangé m’en empêche. Me pousse à ne pas prendre cette sortie. A continuer, sans savoir où aller.
Les vitres sont ouvertes et le vent me cogne la figure. La musique remplie l’espace de cette petite caisse roulante, j’augmente les basses, je me roule une énième cigarette en prenant garde de ne pas quitter la route des yeux plus de trois secondes d’affilées, l’expérience m’ayant dissuadé de faire autrement.
Depuis cet accident, j’ai des flashs terribles. Certains représentent le choc, ce bruit violent qui est apparu de nulle part. La vision de la voiture qui m’a frappée qui s’enfonce dans l’arbre.
Puis, d’autres flashs, imaginaires, qui viennent percuter mon cerveau. La peur d’y passer dans un quatre roues est désormais très prégnante, je ne m’en détache pas.
Tant mieux, on me dit. « C’est en manquant de confiance qu’on roule prudemment. »
Tant mieux. J’ai maintenant l’impression de savoir que je vais finir par crever ainsi.

Un manque d’attention.
Ce serait tout moi.

La haut c’est comme j’aime, et cette phrase inscrite sur un sol parisien « Pourquoi gardez-vous les yeux uniquement rivés vers le ciel ? » Ce soir je peux y répondre, je ne me tourne vers le ciel que lorsque je me sens réellement à terre. Ce n’est pas une échappatoire, c’est une image, un reflet, de ce que je ressens dans toute cette matière vivante. Ce soir il ne me quitte pas, j’ai beau avancer à 150Km/h, il reste là, il se dessine, progressivement, et je souris.

Je n’ai aucune obligation. Je n’ai rien à faire. D’urgent, devrais-je dire. Personne ne m’attend. Personne ne se demandera où je suis passée avant un certain moment. Cette idée me conforte dans celle de foncer, sans me retourner. Pourquoi faire ? Je n’ai pas l’impression de manquer à qui que ce soit, et, dans l’absolu, personne ne me manque.

Une chose, peut-être. Parallèlement. Je ne danse plus. J’ai l’impression de trainer un corps qui se cogne à trop de pensées. Il est lourd, il va et vient, mais n’exprime rien d’autre que mon étrange méfiance vers tout ce qu’il y a de plus assommant : il s’effondre, il se crispe, il se secoue, il tremble et cogne, il marque. Ne vibre plus, à aucun contact, il est comme éteint, diminué.
Je voudrais utiliser ces énergies hostiles pour en produire une, inégalable. Monter sur scène, la musique à fond, danser pendant des heures, jusqu’à épuisement. La chute finale.
Cela me manque terriblement. Etre seule avec une musique qui transperce mes entrailles, me fait vibrer, me fait bouger sans que je commande quoi que ce soit. Il n’est pas vrai qu’il faille « savoir danser » pour danser. Des pas chorégraphiques servent à accompagner nos mouvements dans des élans mieux dessinés, prolongés, mais ils ne sont pas primordiaux pour s’exprimer. De toute façon, j’en possède assez pour accompagner mon corps sur des heures de différentes balades.
Seule, ou bien accompagnée. Je m’entends. Etre accompagnée d’un esprit similaire, visant l’objectif vital de s’étendre sur le son en s’oubliant. C’est rare, de pouvoir s’abandonner en compagnie de personnes. Aussi proches soient-elles. Aussi étrangères soient-elles.

Il l’est sans doute davantage lorsqu’on ressent avoir déjà rencontré celle qui nous fait le mieux décoller.
Ensemble nous projetions de réaliser des centaines de danse, et régulièrement, nous partagions les mêmes coups de cœur. Il était difficile de trouver le moment opportun pour s’exprimer. Très souvent bousculés par le rythme de la vie, des moments arrachés à d’autres, des sensations étranges qui nous envahissaient. Les fois ou ne nous parvenions pas à nous écouter, elles étaient terribles, elles laissaient un poids étrangement désagréable dans le corps, elles tapissaient l’atmosphère d’un silence de marbre dans lequel nous nous sentions heurtés, et nous nous séparions alors pour aller nous mélanger dans d’autres, vers ceux qui ne comprennent pas, car vers ceux qui ne se doutent pas que. Toutes ces fois sont arrivées lorsque nous étions entourés de monde. Des pensées qui viennent s’introduire entre nous qui ne pouvons pas les exprimer. Tant de fois c’est arrivé. Tant de fois aussi, les autres nous lançaient dans cette course démente, et lorsqu’il venait me chercher au milieu de nulle part pour m’amener danser, toujours avec son air de prétendant ringard qu’il imite à merveille et qui me fait toujours rire, j’abandonnais tout sur le champ pour le suivre. Cela dépendait ni de lui, ni de moi. Il n’a jamais suffit de souhaiter l’impulsion pour que, ni de prétendre être en état car le moral de l’un visait son apogée. Rien de tout cela, en réalité. L’intensité du contact qui s’établissait découlait bien d’un rythme effréné qui parvenait ou non à nous emballer pour que, lorsque nos yeux se croisaient instinctivement à l’écoute d’une musique qui éveillait une émotion commune, parallèle, notre sourire suffise à nous joindre et à partir de ce moment là, here we go.

Il est parti à l’autre bout de la planète, cela fait déjà plusieurs mois.
Je ne suis pas triste de son absence. Le contraire m’effraierait.
Je sais que je retrouverai ma paire une fois son retour entamé.
Mais je le sais, comme je sais que mes poumons reçoivent de l’air pour en rejeter.
C’est quelque chose d’ancré, mais dont je ne maîtrise pas tous les artifices.
Le sentir me suffit. Le contraire me rendrait dingue.

Il était là, l’autre soir, sans être réellement là.
Ce soir où je suis partie à un rendez-vous.
Vous y croyez ? Moi, difficilement. Je me revois encore en train de choisir mes habits, pas trop habillée, pas assez non plus. Jusqu’à l’arrivée devant ce pub, où j’ai envoyé un texto à ce galant bonhomme pour lui annoncer mon arrivée. Je me souviens m’être faite rire, toute seule. Sûrement le ridicule de la situation, le petit « je-ne-sais-pas-du-tout-ce-que-je-suis-en-train-de-foutre-mais-rien-que-cette-idée-est-plaisante ». J’avais l’air malin, tiens.
Un semblant d’écorchée vive-bien que vive n’était pas à la lumière de mon état- qui ne voulait pas du tout faire paraître quoi que ce soit.
Aucune envie de parler de mes amours déchues, aucune envie de laisser deviner que j’aimais encore.
Même moi, j’en doutais presque. Ca ne pouvait être de l’amour, tant ça cognait, en mal, et surtout, en silence. Ne pas partager, ne serait-ce qu’une infime partie de cette cicatrice ouverte, luisante, avec n’importe qui, ça non, les étrangers comme mes amis, je n’en voulais pas. M’entendre en parler, en criant en pleurant en murmurant, avait suffis à me trouver complètement absurde, tandis que je souhaitais être éloquente, symptomatique conviendrait mieux. Seule devant un mauvais rêve qui se répétait, un jour plus fort qu’un autre plus calme, uniquement dans ma tête, qui ne concernait plus un être cher confronté à mon esprit, mais bien mon âme perdue en elle-même. Et c’est ce qui faisait la différence.

J’en avais juste assez.