16 juin 2010

Mes nuits sont plus belles que vos jours

Je suis au volant de ma voiture, j’avance. Je suis censée rentrer chez moi. Mais le ciel orangé m’en empêche. Me pousse à ne pas prendre cette sortie. A continuer, sans savoir où aller.
Les vitres sont ouvertes et le vent me cogne la figure. La musique remplie l’espace de cette petite caisse roulante, j’augmente les basses, je me roule une énième cigarette en prenant garde de ne pas quitter la route des yeux plus de trois secondes d’affilées, l’expérience m’ayant dissuadé de faire autrement.
Depuis cet accident, j’ai des flashs terribles. Certains représentent le choc, ce bruit violent qui est apparu de nulle part. La vision de la voiture qui m’a frappée qui s’enfonce dans l’arbre.
Puis, d’autres flashs, imaginaires, qui viennent percuter mon cerveau. La peur d’y passer dans un quatre roues est désormais très prégnante, je ne m’en détache pas.
Tant mieux, on me dit. « C’est en manquant de confiance qu’on roule prudemment. »
Tant mieux. J’ai maintenant l’impression de savoir que je vais finir par crever ainsi.

Un manque d’attention.
Ce serait tout moi.

La haut c’est comme j’aime, et cette phrase inscrite sur un sol parisien « Pourquoi gardez-vous les yeux uniquement rivés vers le ciel ? » Ce soir je peux y répondre, je ne me tourne vers le ciel que lorsque je me sens réellement à terre. Ce n’est pas une échappatoire, c’est une image, un reflet, de ce que je ressens dans toute cette matière vivante. Ce soir il ne me quitte pas, j’ai beau avancer à 150Km/h, il reste là, il se dessine, progressivement, et je souris.

Je n’ai aucune obligation. Je n’ai rien à faire. D’urgent, devrais-je dire. Personne ne m’attend. Personne ne se demandera où je suis passée avant un certain moment. Cette idée me conforte dans celle de foncer, sans me retourner. Pourquoi faire ? Je n’ai pas l’impression de manquer à qui que ce soit, et, dans l’absolu, personne ne me manque.

Une chose, peut-être. Parallèlement. Je ne danse plus. J’ai l’impression de trainer un corps qui se cogne à trop de pensées. Il est lourd, il va et vient, mais n’exprime rien d’autre que mon étrange méfiance vers tout ce qu’il y a de plus assommant : il s’effondre, il se crispe, il se secoue, il tremble et cogne, il marque. Ne vibre plus, à aucun contact, il est comme éteint, diminué.
Je voudrais utiliser ces énergies hostiles pour en produire une, inégalable. Monter sur scène, la musique à fond, danser pendant des heures, jusqu’à épuisement. La chute finale.
Cela me manque terriblement. Etre seule avec une musique qui transperce mes entrailles, me fait vibrer, me fait bouger sans que je commande quoi que ce soit. Il n’est pas vrai qu’il faille « savoir danser » pour danser. Des pas chorégraphiques servent à accompagner nos mouvements dans des élans mieux dessinés, prolongés, mais ils ne sont pas primordiaux pour s’exprimer. De toute façon, j’en possède assez pour accompagner mon corps sur des heures de différentes balades.
Seule, ou bien accompagnée. Je m’entends. Etre accompagnée d’un esprit similaire, visant l’objectif vital de s’étendre sur le son en s’oubliant. C’est rare, de pouvoir s’abandonner en compagnie de personnes. Aussi proches soient-elles. Aussi étrangères soient-elles.

Il l’est sans doute davantage lorsqu’on ressent avoir déjà rencontré celle qui nous fait le mieux décoller.
Ensemble nous projetions de réaliser des centaines de danse, et régulièrement, nous partagions les mêmes coups de cœur. Il était difficile de trouver le moment opportun pour s’exprimer. Très souvent bousculés par le rythme de la vie, des moments arrachés à d’autres, des sensations étranges qui nous envahissaient. Les fois ou ne nous parvenions pas à nous écouter, elles étaient terribles, elles laissaient un poids étrangement désagréable dans le corps, elles tapissaient l’atmosphère d’un silence de marbre dans lequel nous nous sentions heurtés, et nous nous séparions alors pour aller nous mélanger dans d’autres, vers ceux qui ne comprennent pas, car vers ceux qui ne se doutent pas que. Toutes ces fois sont arrivées lorsque nous étions entourés de monde. Des pensées qui viennent s’introduire entre nous qui ne pouvons pas les exprimer. Tant de fois c’est arrivé. Tant de fois aussi, les autres nous lançaient dans cette course démente, et lorsqu’il venait me chercher au milieu de nulle part pour m’amener danser, toujours avec son air de prétendant ringard qu’il imite à merveille et qui me fait toujours rire, j’abandonnais tout sur le champ pour le suivre. Cela dépendait ni de lui, ni de moi. Il n’a jamais suffit de souhaiter l’impulsion pour que, ni de prétendre être en état car le moral de l’un visait son apogée. Rien de tout cela, en réalité. L’intensité du contact qui s’établissait découlait bien d’un rythme effréné qui parvenait ou non à nous emballer pour que, lorsque nos yeux se croisaient instinctivement à l’écoute d’une musique qui éveillait une émotion commune, parallèle, notre sourire suffise à nous joindre et à partir de ce moment là, here we go.

Il est parti à l’autre bout de la planète, cela fait déjà plusieurs mois.
Je ne suis pas triste de son absence. Le contraire m’effraierait.
Je sais que je retrouverai ma paire une fois son retour entamé.
Mais je le sais, comme je sais que mes poumons reçoivent de l’air pour en rejeter.
C’est quelque chose d’ancré, mais dont je ne maîtrise pas tous les artifices.
Le sentir me suffit. Le contraire me rendrait dingue.

Il était là, l’autre soir, sans être réellement là.
Ce soir où je suis partie à un rendez-vous.
Vous y croyez ? Moi, difficilement. Je me revois encore en train de choisir mes habits, pas trop habillée, pas assez non plus. Jusqu’à l’arrivée devant ce pub, où j’ai envoyé un texto à ce galant bonhomme pour lui annoncer mon arrivée. Je me souviens m’être faite rire, toute seule. Sûrement le ridicule de la situation, le petit « je-ne-sais-pas-du-tout-ce-que-je-suis-en-train-de-foutre-mais-rien-que-cette-idée-est-plaisante ». J’avais l’air malin, tiens.
Un semblant d’écorchée vive-bien que vive n’était pas à la lumière de mon état- qui ne voulait pas du tout faire paraître quoi que ce soit.
Aucune envie de parler de mes amours déchues, aucune envie de laisser deviner que j’aimais encore.
Même moi, j’en doutais presque. Ca ne pouvait être de l’amour, tant ça cognait, en mal, et surtout, en silence. Ne pas partager, ne serait-ce qu’une infime partie de cette cicatrice ouverte, luisante, avec n’importe qui, ça non, les étrangers comme mes amis, je n’en voulais pas. M’entendre en parler, en criant en pleurant en murmurant, avait suffis à me trouver complètement absurde, tandis que je souhaitais être éloquente, symptomatique conviendrait mieux. Seule devant un mauvais rêve qui se répétait, un jour plus fort qu’un autre plus calme, uniquement dans ma tête, qui ne concernait plus un être cher confronté à mon esprit, mais bien mon âme perdue en elle-même. Et c’est ce qui faisait la différence.

J’en avais juste assez.