Ce que ressent Dominique Delorme à la suite de ces années de brouillard est un sentiment amer .
Amer, est-ce le mot, qui pourrait englober l’étonnement d’abord, l’incompréhension, la surprise, la déception, le questionnement, l’amour, la haine, la tristesse, la détresse ?
Cela me semble bien complet, tout en restant, fatalement, très compliqué.
Tentons d’éclaircir le sujet.
Dominique Delorme, quinquagénaire malade, père de famille, inactif, marié, inactif toujours, homme sensible et raisonné, réalise aujourd’hui qu’il est seul.
Mais ce n’est pas tout. Voyons. Dominique réalise qu’il a toujours été seul.
Que tous les éléments qui ont construit sa vie, sont ratiboisés par cette soudaine révélation : Dominique Delorme a avancé les yeux fermés. Pensant partager une part de son être avec la femme qu’il connaît depuis des années. Sa femme. Celle qui l’a poussé à déménager en appartement, à vendre son break pour un confort familial, à changer de style vestimentaire et à construire une famille, la même femme qu’il a aimé, passionnément aimé, désiré, rêvé.
Il s’avère que Dominique Delorme s’en veut, et que nous en voulons à Dominique de s’en vouloir.
Comment qualifier ce lever de rideau, ces chutes de masques repeints, ce sentiment serein que nous possédons tous envers des personnes que nous estimons connaître et en qui nous croyons se transformant en un abat de briques moles, ternes, usées. Bon pour la casse.
Dominique saisit que sa femme le trompe. Mal viscéral qui lui transperce la poitrine, le paralyse.
Un temps.
Dominique ferme les yeux et attend que ça passe.
Deux temps.
Il fallait un troisième temps pour la valse. Tout seul, Dominique sourit déjà.
C’est une vraie mascarade. Sa vie, son œuvre.
Cette femme.
Finalement, il aurait préféré être le seul dindon de la farce. Un mari malade, chômeur, cocufié, l’apogée de la classe qui s’est pensée dominante, qui s’est vue dégringoler les paliers, petit à petit, décousant le nid, pour s’écraser lamentablement sur un plan de gravier, la scène classique, Dominique aurait pu la supporter.
Si seulement.